EPIPHANY

Celle qui n’a pas de nom :

C’est arrivé très vite… Un malentendu ?
Non, bien sûr… ça existe pas les malentendus
Une erreur de jugement alors… Oui… C’est ça…
Une erreur de jugement.
Et Finalement quelque chose comme une trahison
On peut dire ça oui, une trahison, un pacte qu’on ne respecte pas,
un regard dans les yeux qu’on ne soutient plus et des horreurs qu’on débite à la chaîne, des mensonges qui deviennent la vérité, et la sensation tous les jours d’arriver au bout, aux extrémités de ce qu’on peut ressentir.
Mais sans jamais en voir la fin. Jamais !
« J’en vois pas la fin, chéri ! » Elle a de l’énergie la solitude, elle est en pleine forme.
Prête à s’installer et à prendre toute la place, comme une enfant docile, nourrie de frustration, de haine et d’orgueil.
C’est ça, c’est l’enfant que tu m’as laissé cette solitude…
Oh! j’vois du monde, il paraît qu’il faut voir du monde!
Ca me distrait, quoi! Cinq minutes! Après on rame! Qu’est-ce qu’on rame! Et quand tout l’monde s’en va c’est pire,
oui, les possibilités sont de plus en plus rares, non! Et ne m’dites pas que je suis trop sérieuse ou j’fais un malheur!
C’est ce que j’ai lu l’autre jour: « Le monde fait des promesses qu’il ne tient pas alors après les gens sont déçus ».
Oui! Donc… à quoi bon prétendre… prétendre que tout cela pourrait être léger, alors que la vie maintenant pèse une tonne, qu’il faut négocier chaque instant avec soi-même pour ne pas tomber,
que je flirte avec les p’tits cachets et les p’tits couteaux toutes les nuits parce que jamais sommeil, pas envie de fermer les yeux…
Pas besoin, pas envie de renoncer même et surtout quand j’entends partout:
« Laisse tomber, laisse tomber, renonce ! ».
Et personne pour entendre le bruit de ma chute, n’est-ce pas ? Personne.
Ca résonne, non!
J’en ai trop dit ? J’le sens, j’vous ennuie déjà… peut-être toi, Seigneur ?
Oh! tu es occupé, je vois ça, tu es comme eux:
« Liquidons cette affaire le plus vite possible
et passons à autre chose ! ». A quoi ?
« à autre chose ! »
A quoi ?
« à autre chose ! »
A quoi ???
Ca y est, tu es content je suis à g’noux, je n’ai plus rien. Où dois-je regarder maintenant ?
Où dois-je regarder Seigneur ? Où ? Je t’en supplie aide-moi! Je t’en supplie!
De toutes façons sans moi il ne pourra pas, il ne pourra pas, je l’sais
il entend je le sens, dis-moi qu’il entend Seigneur, dis le moi!
Je sais qu’il est là, Marion.
A me narguer, à épier mes plus p’tits gestes
Il est là, tranquille.
Quelque part au dessus de ce monde d’espions et de lâches.
A observer mes habitudes de folle, mon rituel de folle!
Il murmure : « Ca n’a pas d’ sens, ça n’a pas d’sens !!! », et j’deviens dingue je frappe les murs avec les poings… ça n’a pas d’sens.
Moi qui croyais aux signes, au pouvoir des mots, aux miracles
oui tu sais, Marion, ces pensées qu’on envoie et on reçoit la réponse comme ça
et ces gens qu’on rencontre dans la rue cinq fois, dix fois
moi qui croyais qu’il fallait à tout prix dire la vérité toujours
moi qui croyais qu’il y avait un sens à tout ça
que Dieu s’occupait de tout.
Et les amies, elles ont peur, les amies,
au début elles passaient m’voir, m’appelaient chaque jour
elles en disaient des conneries... Qu’est ce qu’elles en disaient comme conneries!
Alors je lui parle puisqu’il est là, je lui dis :
"Tu sais très bien que ça n'est pas ce qu’je veux"
je me regarde dans la glace, je le regarde
et je dis : « Ce n’est pas ce que j’veux
être comme ça, toute la journée ».
Parfois je m’allonge sur le sol, je rampe un peu comme une bête et puis j’enfile un pantalon, j’descends au Starbucks : « Café d’ la semaine, doughnut au chocolat »,
tous les jours, depuis six mois, la même chose.
Tous les jours! Personne me voit, personne me parle,
hier le type m’a dit comme ça : « Café d’la semaine, doughnut au chocolat ? ».
J’ai failli lui cracher à la gueule!

Marion : Qu’est-ce que tu veux à la fin ?
Celle qui n’a pas de nom : On a dénombré deux cent soixante douze lésions, fractures, ékymoses, sur la tête d’Eddie Cochran quand il est mort le dix sept avril 1960, il était bien installé sur le siège arrière du taxi, quand la voiture a quitté la route, il s’est précipité sur sa fiancée pour la protéger; il lui a sauvé la vie. Après il faisait de drôles de bruits avec sa bouche, du sang en coulait, y’avait du sang qui coulait d’ses oreilles aussi. Tu vois Marion, la pire chose qu’il m’ait dite c’est :
« Tu es forte, tu vas t’en sortir ».
Dieu nous abandonne!
Marion : Oui… enfin… Je sais pas… J’ m’en fous.
Je pense pas à Dieu tout l’temps moi,
tu fais chier avec Dieu
J’ai eu des malheurs dans ma p’tite vie,
mais quand j’te vois, j’ai envie de pleurer… j’ai envie de… merde!
Imaginer que notre amitié, l'amour que j’ai pour toi, depuis la petite école,
tous ces moments ensemble,
me dire que ça sert à rien,
que justement là, maintenant que tu as tant besoin de moi, j’peux rien pour toi.
J’le vois dans tes yeux, j’peux rien pour toi!
Tout c’que je vois dans tes yeux.
Je sais qu’tu penses que nous avoir toutes autour de toi ça sert à rien,
que tu es seule de toutes manières,
que tout ça c’est pour te distraire.
Je sais que tu veux autre chose et je sais c’que tu veux… le gros truc…
la grande musique… C’est ça! Hein!!! Tout ou rien!
C’est ça hein ?
Putain dis-moi… c’est ça hein!!!??
Et t’es prête à payer le prix n’est-ce pas ?
Le prix fort! A crever d’faim ou d’aut’chose.
Tu fais peur à voir et je s’rai jamais à la hauteur,
de ta peine, de ta demande. Jamais!
Et j’ai honte de ça et je n’veux pas que tu meures… Jamais!!
T’entends ? Ja-mais! Jamais!
Arrête, putain! Arrête!
Celle qui n’a pas de nom : C’est la mort que tu vois dans mes yeux
c’est la fin que tu vois,
ce s’ra joli la mort!
Tu m’as jamais aimé, avec lui on était armés pour ce monde,
t’es jalouse de c’que j’vis, de c’que j’ressens,
t’es jalouse de cet amour c’est trop grand, c’est trop fort pour toi.
Vous comprenez rien, ni toi, ni tes copines,
avec lui on était armés pour ce monde!
Elle récite le « Je Vous Salue Marie ».
Emmanuelle : Qu’est-ce qu’elle fait toute la journée ?
Marion : Elle prie… elle marche… de pièce en pièce, en culotte, en soutien gorge,
elle récite ces prières que j’connais pas,
elle mange plus, enfin presque rien,
des raisins secs, des biscuits.
Un jour j’suis restée à l’observer,
elle croyait que j’étais partie,
elle a dû fumer cinquante cigarettes.
Elle était là, le dos collé au mur,
elle pleurait, elle pleurait, elle s’arrêtait plus…
Elle parle de Marie tout l’temps,
Marie, Marie, Marie…
Viens à mon secours, aide-moi je t’en supplie. Aide-moi!
Emmanuelle : Si elle la voyait ?
Je veux dire la Vierge Marie,
si elle… apparaissait, tu crois qu’elle…
Marion : serait sauvée ??? Oui peut-être!
Putain… elle m’a toujours emmerdé avec ses airs supérieurs, ces leçons qu’elle donnait à tout l’monde… Marie!!!
A quinze ans elle ressemblait tellement à un garçon,
elle passait son temps toute seule dans son coin.
Mais elle s’en foutait, cette force qu’elle a toujours eu,une force.
Moi, j’étais son amie mais c’est comme si j’existais pas, j’étais là, mal dans ma peau
mon corps… j’en crevais… c’est comme si mon corps était… en trop… là.
Je savais jamais où me mettre.
Un jour on s’est embrassé mais c’était rien pour elle, juste pour voir comme ça.
Elle faisait tout comme ça, pour voir, comme si elle avait peur de rien,
« expérimenter » elle disait.
On s’retrouvait des fois on disait rien de toute une journée
on était ensemble, c’est tout, rien de spécial.
Ou alors on riait comme des andouilles pendant des heures,
mais je savais jamais ce qu’elle pensait… de moi
enfin… des choses.
En même temps avec l’enfance qu’elle a eu…
Elle s’est toujours caché derrière ça et puis elle écrivait tout l’temps,
pas un débile journal intime, non, une « œuvre »!
J’la connais pas en fait c’est tout, voilà!
A un moment, plus tard,
on est amie depuis le cm1 quand même,
elle a habité à deux pas d’chez moi.
J’la voyais jamais elle avait une « mission »,
c’est c’qu’elle disait! Au s’cours! Pauvre conne!
Lui, il était transparent; elle lui apprenait tout,
il fallait voir comment elle le regardait, comment elle le touchait...
Je n’pouvais pas m’empêcher d’être envieuse,
jalouse, de ça oui, de tout l’reste. Elle le voyait bien, elle en rajoutait,
elle avait tout; j’avais rien, l’histoire de ma vie.
Il a fait illusion un temps mais bon le pauvre, il était tellement pas comme elle l’imaginait
mais elle l’aimait c’est sûr, c’en était pathétique parfois,
elle mettait la barre très haut et lui… Tiens!
C’est un peu comme moi ça,
il comprenait rien à c’qu’elle disait.
Emmanuelle : Jamais ça t’est venue à l’esprit qu’elle pouvait saisir, écrire des choses qui te dépassent… ?
Marion : Tu m’prends pour une conne, c’est ça!
Il arrivait pas à suivre, c’est tout,
d’ailleurs personne n’arrivait plus à la suivre
et, lui, à la première occasion! Pfffttt… voilà!
Et cette idée de tout bazarder, de vivre dans ce trou
de garder trois livres ou je n’sais quoi, de porter ses vêtements à lui,
elle paie maintenant, elle paie
enfin, qu’est ce qu’j’peux faire de plus pour l’aider ?
Emmanuelle : Tu n’as rien fait pour elle depuis deux ans! Rien du tout, pas un geste!
C’est moi qui l’ai aidé à déménager.
Je n’suis pas sa « meilleure amie » moi!
Marion : Toi t’es une pièce rapportée, tu sais pas c’qu’y a entre nous! Elle se plaint tout l’temps, maintenant elle a besoin d’moi!
Emmanuelle :
Laisse là!!!! On va au bois ???

E: J’vois les choses du bon côté, oui… enfin… c’est ça, du… bon… côté.
J’crois en tout ce qui existe, dans mes seins qu’on r’garde sur la plage,
mes pieds dans l’herbe.
J’crois dans la mort qui fait signe quand elle vient nous chercher.
J’crois en l’oubli, oui, même si on n’oublie jamais.
Je crois en tous ces mondes différents.
Tous ces gens différents et tout l’monde pareil, finalement hein!
Je crois dans les souvenirs qui ne s’effacent pas, dans la parole des humains, même si les humains n’ont pas d’parole.
Je crois dans un bon cake qui sort du four. Avec des fruits confits, de la cannelle. Je crois dans la dissimulation, la lâcheté.
Oui je crois dans les pires choses,
lâche, lâche, minable, horrible!
Cache ça, cache!
J’crois dans la trahison, on est prêts à tout à certains moments non ?
pour si peu…
Quelle heure il est ?
Je suis en retard ?
J'crois pas au temps, le temps n’existe pas.
Le temps est… Comment dire ? Vertical !!!
Tak tak tak tak,
les choses s’empilent comme ça !
Et tout est là, en même temps! Au même instant! voilà!
Je crois que tout est toujours là, que rien n’disparaît.
Là toujours! Rien n’se perd jamais,
on tourne la tête simplement, hop, envolé.
Vo la ti li sé !!!
Et je crois tellement dans les rêves, Marion.
Marion : Que vos rêves soient de plus en plus beaux car tout deviendra réalité.*
Emmanuelle : Oui ! Oui, c’est ça, Marion, t’es trop forte!
Les prémonitions, la pluie!
Marion, t’as vu l’train ?
J’aime le soleil, mais je préfère la pluie.
J’adore la pluie, mes pieds mouillés dans la rosée…
Ils sont jolis mes pieds, non ?
Et les villes, les avenues,
les cigarettes qu’on allument, les théières qu’on boit et c’ qui est sale et qu’on nettoie,
et c’qui est propre et qu’on dégueulasse,
et la vérité j’y crois mais je crois dans le mensonge aussi.
Wow, un beau mensonge!
Et le mystère et la vengeance : « J’me vengerai du mal que tu m’as fait ». Oui j’y crois!
Et Johnny Cash, je crois en Johnny Cash!
« J’ai tué un homme à Reno, juste pour le voir mourir ».
Ce moment où l’autre va payer, il est trop tard pour réparer!
Ce moment du pur plaisir de la vengeance, pas de surprise non,
pas de consolation, pas de miracle.
Enfin… pas comme ils croient.
Aucun remède à notre misère… Dieu est plus fort que ça !
Et toi Marion, tu penses quoi ?
Marion : Que la vie est un cauchemar.

Celle qui n’a pas de nom : J’ fais des neuvaines…
tu sais c’que c’est ?
Emmanuelle : Oui
Celle qui n’a pas de nom : Ah bon!
E: Oui… des prières, des bougies allumées pendant neuf jours dédiées à une sainte, à un saint… pour obtenir une grâce.
Celle qui n’a pas de nom : Oui… oui! Une grâce…
Ste Thérèse, Ste Rita, St Expédit, St Joseph.
Prières pour les causes désespérées, oraisons…
Emmanuelle ça veut dire Dieu est avec nous non ?
E: Oui, oui
Celle qui n’a pas de nom : Je fais des listes aussi, des énumérations,
les lieux, les choses qu’on mangeait, où on allait, les goûters, les…
J’aimais tout finalement.
Quand il descendait en bas, quand j’étais sur lui aussi… le corps…
Même les moments ratés, tu sais ces soirées ratées, les cinémas, les week-ends, j’me souviens de tous ces trucs ratés même ça c’était beau… c’était… une vie!!!
Une grande vie pour moi… avec plein de choses à venir aussi!
Comment j’ai pu me tromper à ce point ?
Enfin… y'a des malheurs plus grands, tu crois pas ?
E: Tu écris, non ?
Celle qui n’a pas de nom : Oui…oui, comme ce petit garçon à l’école qu’est rev’nu après la récréation, un crayon planté dans la bouche, la maîtresse a tiré un grand coup.
Du sang partout…
E: Alors écris…
T’as bien fait de changer d’endroit.
Celle qui n’a pas de nom : Je pense souvent à mourir, j’ai honte.
E: Tu veux vraiment ?
Si tu veux vraiment mourir alors meurs!
Moi je sens que… Il n’y a rien que tu n’puisses faire, que tu n’puisses accomplir.
Oui ça je l’sais mais si tu veux vraiment mourir, alors meurs, ou disparais.
Le monde n’a rien à t’apprendre que tu ne saches déjà. Laisse les autres! Il faut toujours qu’ils la ramènent les autres. Les vides, les creux, les jaloux, les femmes sans jambes, les aveugles, les vieux, les jeunes. Laisse les à leur histoire.
Tu as la tienne!
Il ne r’viendra pas ou plutôt si, il reviendra peut-être mais tu ne voudras plus de lui.
C’est toi qui as fabriqué tout ça avec lui ce qu’il a fait, comme il l’a fait.
Tout ça c’est la preuve qu’il n’était pas ton égal dans l’amour, dans le voyage que tu croyais faire avec lui.
Et ça, ça te rend presque encore plus triste que son absence, non ? Cette erreur énorme qu’il a été dans ta vie. Cette illusion, ce qu’il t’a donné ou fait semblant de te donner et qu’il t’a repris.
Tu ne guériras jamais! Pourquoi te raconter des salades ? Ils t’en ont tous raconté des salades hein!
Celle qui n’a pas de nom : Comment je vais faire pour croire quelqu’un maintenant ?
E : Tu l’attendras toujours!
Avant il était à un seul endroit, avec toi, maintenant il est partout.
C’est comme ça, ça n’a pas de sens, n’en cherche pas, tu perdrais ton temps.
Meurs, vis, écris, pars, reste, pleure, crie, écoute…
Si tu prêtes l’oreille même les pierres parleront.*

*

Vivre haut! Vivre fait peur, non ?
Et une fois passé l’acte de bravoure de se débarrasser de toi, que lui reste t’il ?
Crois-moi tu seras toujours au-dessus de son épaule et s’il est devenu un fantôme pour toi,
tu es maintenant dans sa vie un spectre bien plus embarrassant encore et il te regrette,
si seulement tu savais comme il te regrette!
An image of JL Godard's "Hail Mary".I didn't see the movie before
i directed "Epiphany" and it seems so close to Claire and certain
images from my film.It's so...very strange as i love so much Godard's work !