MONSTRUOSA

Jay / Off :
C’est l’histoire d’un monstre, une mauvaise fille, un puits d’amertume et de haine…
Pourquoi avais-je passé cette petite annonce ?
Qu’est ce que j’attendais encore de la vie ?
Plus de deux ans avant, j’avais perdu une femme,
tout c’que j’aimais. Ma femme !
Ils parlaient tous de deuil, de faire le deuil… mais non, je n’pouvais me résoudre à cela, à cette absence que je n’acceptais pas.

Je n’arrivais plus à vivre, oui mais j’n’avais pas le courage d’en finir.
On m’a appelé de la réception, cette fille attendait que je l’invite à monter dans ma chambre.
Je vivais à l’hôtel maintenant, je n’avais plus de maison, je n’avais plus rien. J’avais tout vendu, de quoi tenir encore quelque temps.
Trois petits coups à ma porte, c’était elle… Monstruosa!
Il y avait quelque chose dans son visage… Vaguement quelque chose de cette femme que j’avais tant chéri.
Ca m ‘a troublé bien sûr, plus que je ne l’ai cru alors...
Beaucoup plus.
Je me souviens la première fois que j’ai touché ses mains, ses doigts noueux… La première fois que j’ai posé ses pieds de danseuse sur mes paumes, j’observai ses petits ongles courts, la texture de sa peau frôlant la mienne,
ça ne s’explique pas ce genre de choses n’est-ce pas ?
Alors oui, à la minute où elle entra dans la pièce, j’ai su que j’avais scellé un pacte avec le diable ou un vampire…
ou ce que vous voudrez… Monstruosa !!!
Ce que je n’savais pas en revanche c’est qu’il ne me restait plus que trois mois à vivre, et je n’peux même pas dire qu’il furent les plus beaux de mon existence.

Off: Vous voulez boire quelque chose ?
Monstruosa: Euh oui... Un verre d’eau... Vous avez… pétillante ?
O: Pourquoi vous êtes là ?
M: Bah! Pour l’annonce!
j’ai toujours voulu être… soumise! Normalement, une fille comme moi, à mon âge, elle devrait ...
O: Quel âge vous avez ?
M: 31 ans... elle devrait penser à avoir une vie… normale, des enfants, je sais pas, il y a tellement de solitude.... partout.
J’ai fait beaucoup de peine à quelqu’un, un homme, enfin …. Il s’est... tué, suicidé quoi! Je vous fais peur, hein!
Je l’ai quitté, je l’ai laissé comme ça du jour au lendemain.
J’ai vraiment été... c’est même pas moi qu’ai décidé... il voulait qu’on réfléchisse un peu… comme une merde, je l’ai laissé…
enfin pire que ça. Il y avait tellement d’amour entre nous, il m’avait prévenu avant de se pendre, il me disait:
« J’ai tellement de peine, tellement de peine ».
J’l’ai pas cru… je crois en rien, de toutes manières...
Toute ma vie je n’ai que pensé à moi… moi, moi, moi!
Il aimait bien joué à ça aussi, je veux dire, la domination, la soumission. Enfin, il hésitait, il savait pas trop, il était attiré, comme moi. Il était tout comme moi… tout comme moi.
J’ai toujours... enfin quand j’étais petite... ma famille était très sévère. Enfin mon père… en fait j’aimais bien ça...
Je vous explique un peu, quoi !
Parfois il se faisait un malin plaisir, devant tout l’monde hein, devant tout l’monde! J’me souviens très bien, il voulait que j’obéisse… En fait il m’humiliait quoi... Il m’engueulait devant toute la famille.
Ce pauvre connard, j’ai jamais eu aucun respect pour lui, mais au fond, j’aimais bien, ça arrivait souvent, oui souvent.
Je cherchais la merde, enfin la limite, jusqu’où je pouvais aller…
Jusqu’où on pouvait s’occuper de moi, c’est ça oui, j’ai toujours voulu qu’on s’occupe de moi...
Et en retournant dans ma chambre, soit je vomissais, soit je... enfin vous voyez... Je m’allongeais sur le lit, je me frottais en pensant à c’qui venait de se passer et j’étais… soulagée.

On peut fumer ?
J’ai des petits rêves. Des petites idées. Je suis… vide.
J’ai envie de rien.
J’ai vite compris va... très vite compris… Lui, il m’disait :
« Qu’est-ce qui t’fait jolie comme ça ?».
J'n’sais même pas ce que ça veut dire jolie.
Je veux dire… pour moi. Je le… vois… chez les autres. Je suis si… envieuse, jalouse de ce que je n’aurai jamais.
Le ventre là; le ventre fait mal. Et là !!!
Je lui envoyais des textos… « Tu es la meilleure chose qui m’est arrivé! » Putain! Détruire tout ce qui est joli!
Dans ma tête c’est pourri, dégueulasse, ça a jamais été… joli.
On regardait des films… pornos, je faisais la fille choquée, celle que ça insupporte de voir des choses pareilles, au fond ça me branchait trop. C’était les trucs les plus dégueulasses, les plus violents qui m’excitaient. Je lui choisissais les films, les filles, j’aime bien les filles, je le détestais de me faire réaliser que j’avais toujours mouillé pour des filles .
A la fin il était si fragile, il pleurait tout l’temps.
Bien sûr je n’l’ai pas cru. Bien sûr! Parce que… je suis incapable de ça, d’un truc pareil.
Grimper sur une chaise, accrocher une putain de corde au plafond…
Incapable de faire quoi que ce soit… Je préfèrais me plaindre. Prendre toute la place. Me plaindre. Prendre toute la putain d'place! Donne! Donne! Donne!
Donne moi encore! Pour moi. C’est pour moi!
Un jour… On jouait. J’avais les yeux bandés. J’étais allongée sur le sol, nue, et j’ai senti le liquide tout chaud sur mon corps, mon visage. Ça sentait le lait. C’était doux!
C’est un des plus beaux jours de ma vie, cette pisse tiède, chaude sur moi. C’est tout ce que je méritais. Enfin! Petit chien dans un coin. Voilà!
Mais pour ça. Pour accepter d’être rien, il faut… Accepter d’être rien pour devenir quelqu’un. Enfin je veux dire… Je sais pas...
A ce moment j’ai… j’ai compris que je l’aimais, que pour la première fois j’aimais quelqu’un. Qu’il y avait quelque chose entre nous, que je ne retrouverais peut-être jamais.
Et j’ai vu combien il m’aimait aussi… Et il fallait que je détruise ça. Il fallait! Ça aussi il fallait que je le détruise!
Je peux vous appartenir, je peux signer un contrat...
C’est c’que j’aurais dû faire avec lui... j’l’aimais tellement!
O: Pourquoi vous l’avez laissé alors?
M: Je sais pas, j’ai eu trente ans, j’avais encore rien fait d’intéressant, il était plus vieux que moi… mais bon, c’est même pas ça en fait. Il faisait peur parfois, il était très intense, imprévisible. Il vous poussait à tant de… vérité, c’est ça il fallait pas tricher avec lui, il donnait tout alors il fallait tout donner aussi…
En même temps, il était tellement doux, fin… le corps si fin.
Il avait quitté une famille pour moi...
Mais en même temps c’était un petit garçon,
je lui ai dit pas longtemps avant de partir: "T’es un p’tit garçon!".
C ’était… comme un miroir, c’était mon miroir.
C’était dur de me voir telle que j’suis, je me sens tellement laide à l’intérieur… tellement sale… et je… enfin… il me voyait belle… pure… il a tout fait pour me rendre… acceptable.
Parfois même j’étais heureuse, je veux dire, il me rendait heureuse… je riais, mais c’était jamais assez, putain, jamais assez, jamais assez!
O: Vous êtes prête à quoi ?
M: A tout!


Monstruosa / Off: “Non, papa, j’ai dormi chez maman,
oui j’y suis allée, c’était... cimetière Montparnasse.
Non ! Non j’m’en remettrai pas... jamais!
Non je t’en prie, tu peux pas dire une chose pareille…
Oui je pars… un peu… je sais pas… au revoir !

Monstruosa et la soumise:
M: T’es qui ?
S: Rien… rien…
M: Qu’est-ce tu fais là ?
S: J’aime cet homme, ne lui faites pas d’mal… J’ai entendu…
Il s’en fout de moi, je sais… Il s’en fout.
Il aime mes pieds, ils sont petits non ?
Il s’endort dessus parfois, il les pétrit… comme de la pâte, il les caresse, il les embrasse.
M: Tu le connais depuis longtemps ?
S: Depuis la mort de sa femme, enfin depuis sa disparition.
M: Il a une femme… morte.
S: Depuis que je suis ici, je revis. Vous n’pouvez pas comprendre. Personne ne peut comprendre un truc comme ça.
Depuis qu’il m’a frappé la première fois… Depuis cette première fois, il m’a frappé et c’était… comme un baiser, oui!
Il m’a demandé de lui faire la même chose, il voulait mourir, je l’ai presque tué tellement… j’y allais fort, et puis il demandait plus fort encore, plus fort!
Et puis j’ai vu ces lumières autour de nous, ces lueurs bleues, mauves, roses. C’était incroyable! Il m’a dit que j’étais sûrement un ange.
Depuis qu’elle n’est plus là, il n’arrive plus à dormir.
Mais quand il s’endort enfin, c’est lui l’ange. Cet homme ne connaît pas le mal! Non! Regardez ses yeux!
Un jour il m’a demandé de rester, j’ai accepté. J’attendais toute la journée parfois, là où il avait décidé que je sois, à ses ordres,
dans la position qu’il avait choisi aussi.
C’était… comme une méditation... Oui… Je faisais un voyage… dedans… à l’intérieur. Je revoyais ma misère,tout! Ma vie…
Je lui dois ce voyage, je suis bien avec lui.
Je l’entends aller, venir, pleurer souvent. Il pleure beaucoup.
Et puis… je guette ses pas, le moindre geste.
Je mouille, je suis trempée, tendue par le désir, tellement… Parfois toute une journée... Soudain il arrive, il frappe sans dire un mot.
J’ voudrais que ça dure toujours, que ça ne cesse jamais, je n’attends que ça, rien d’autre, rien!
Quand on sait d’où je viens …
Et puis je dors là sur le sol, s’il le veut, ou près de lui, comme il veut.
Il crie souvent la nuit, toutes les nuits en fait: "Non, non!".
Il m’a expliqué, c’est toujours le même rêve,
sa mort, sa naissance ??? J’ai pas bien compris!
Le matin il me commande un petit déjeuner de princesse, nous parlons, nous buvons du café… et puis soudain il se tait il ferme la porte, il ferme toutes les portes en fait!
Il me dit c’que je dois faire, pour nous le monde extérieur n’existe plus depuis longtemps, je l’entends téléphoner parfois, c’est toujours très bref, quelques mots, mais moi je n’ désire qu’une seule chose, qu’il me corrige comme la veille, plus fort si possible…
Et puis, il entre ses doigts en moi... C’est doux à l’intérieur... profond, il va loin… et je rêve que ça dure toujours, toujours.
Une seule fois nous sommes sorti ensemble, je l’ai attrapé par le bras, il a adoré ça, je l’ai senti, en fait il me l’a dit.
Et puis nous avons marché, marché... je crois qu’elle le tenait souvent aussi comme ça, qu’elle mettait les bras autour de son cou, qu’elle s’asseyait sur ses genoux...
Il se remettra jamais de son amour pour cette femme, jamais, je le sais. Mais là, comme je suis avec lui, ça me suffit, c’est déjà bien, enfin... c’est beaucoup… pour moi c’est beaucoup.
Qu’est-ce que vous voulez ?
M : Dégage, il est à moi! Et puis enlève ça d’abord, enlève ça!
Donne, donne, donne, dégage, dégage!!!


O: Elle s’était installée maintenant… Bien installée!
Depuis combien de temps?
Plusieurs semaines peut-être, je n’sais plus très bien.
Le temps dans cet hôtel aux murs verts passait, si lent, parfois presque immobile.
Je souffrais mais je n’apprenais rien, non, la souffrance ne nous apprend rien.
L’autre fille était partie, pourquoi ?
Il était trop tard pour se poser la question.
Je ne mangeais presque plus, l’argent allait commencer à manquer, elle était là, elle attendait.
Je n’avais pas envie de lui faire la conversation. Le temps qu’on perd dans une vie à faire la conversation, pour rien.
Elle attendait mes ordres, elle disait sans arrêt: « J’attends tes ordres! ». Mais dès que je lui demandais quelque chose, elle se rebellait, faisait le contraire.
Oh! elle a bien failli faire illusion quelques jours, elle lui ressemblait tellement! C’était troublant.
Elle avait cette même mâchoire un peu forte, cette maigreur androgyne, ce sourire d’enfant.
Je m’étais même imaginé un instant partir avec elle, sortir de ce trou, essayer quelque chose, autre chose, ailleurs, loin de toute cette peine qui pourrissait sa vie et la mienne…
Mais non bien sûr, je rêvais, c’était impossible!
En fait je n’l’avais vu sourire qu’une seule fois, c’est vrai elle ne souriait jamais.
Mais au fond il n’y avait pas de quoi sourire.
Son existence avait été un enfer, et maintenant, elle avait décidé, de faire, de la mienne, la même chose.
Elle m’avait dit qu’avant moi, elle ne parlait pas. Qu’elle restait silencieuse des semaines entières, que ce silence rendait fou tout l’monde. Un jour elle avait décidé de se taire.
Ce qu’elle avait vécu, le dire, même l’écrire, c’était la preuve que toute cette merde avait bien eu lieu.
Et elle ne voulait pas de ça, non.
Mais à moi elle s’était livrée, à moi elle avait tout déballé.
Pourquoi ?
De temps en temps, elle laissait traîner son revolver partout, et je jouais avec parfois.
L’arme était chargée. Elle avait bien sûr voulu que je la baise avec, enfin c’était ses mots: « Baise-moi, mets le dedans, plus fort, plus loin, allez tire! ».
Elle était malade, rien ne lui allait, rien ne la satisfaisait, rien, jamais n’avait grâce à ses yeux, et elle voulait tout savoir, de ma vie, de l’autre femme, tout, tout, raconte moi tout!
Et je la laissais me questionner… Epuisé, je ne dormais presque plus, et cette dernière nuit avait été particulièrement atroce,
ça n’était plus qu’un cauchemar continu.
Avant j’avais toujours trouvé émouvant de voir une journée commencer, le jour se lever, mais là non.
Avec elle, chaque matin était une promesse non tenue, un jour de plus… à ne rien faire.
Le peu de force qui me restait, avec elle je l’ai perdu.
Pourtant, c’est curieux, mais ce soir là pour la première fois, dans cette robe noire qu’elle ne quittait plus depuis notre première rencontre, je l’ai trouvé belle, oui, elle était devenue… belle…
Alors sans qu’elle le voit, j’attrapais l’arme dans son sac et je me dis que l’heure, allait bientôt sonner.
Que c’était le moment pour moi de rejoindre celle que j’aimais, je n’avais que trop tarder.
Monstruosa: Voilà on est tous les deux… on est bien, non?
Tu es content de moi? Je suis une bonne esclave? Je te sers bien, tu veux que j’ te suce comme ce matin... ça avait l’air bon non ?
Qu’est-ce que t’as ?
Je suis... Jalouse de tout, de tout l’monde... Contrariée, mon petit frère dit toujours : "T’es née contrariée".
Enfin lui aussi il est jaloux hein, on est tous jaloux dans la famille.
Tu dis rien ?
Je suis morte... en fait je suis morte à 13 ans... Ce mec… il m’a dit : "Ferme ta gueule ou j’te tue, t'entends???… alors j’l’ai laissé faire… j’veux dire, un bon bout d’temps hein...
Et puis ces accidents, ce suicide raté, mes parents à l’hôpital…
nom de Dieu ma vie… Ma vie... Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ?
Pourquoi tu me regardes comme ça ?
Où tu vas ?
Où tu vas ?